|
Adolescent, je vis un jour un peintre exercer son talent. Ce fut pour moi comme une révélation, dès cet instant j'ai su que j'en ferais mon métier. A 14 ans j'intégrais donc le lycée professionnel de Vedène pour préparer un CAP de peintre en bâtiment. Mon examen réussi et ayant au cours de ces trois années tâté un peu de la martre (pinceau particulièrement souple adapté pour la pratique de la lettre peinte et dont le prix du poil au kilo était, paraît-il, supérieur à celui de l'or) je décidais alors de présenter un autre CAP, celui de peintre en lettres. A la fin de cette formation j'obtenais mon deuxième diplôme. Après plus de vingt ans d'exercice, notre profession et les choses ont changé d'une telle manière, puisque nous sommes rentrés dans l'ère du tout adhésif, tout numérique, qu'il m'a paru intéressant de fixer sur photos toutes ces vieilles publicités aux slogans bien désuets, mais ô combien empreints de nostalgie. Un jour si l'on n'y prend pas garde, le temps et les hommes les feront disparaître les unes après les autres sans que l'on ne s'en aperçoive. J'ai pris un plaisir particulier à réaliser ce livre même s'il y a un peu de tristesse à arpenter certaines rues dans lesquelles ne subsistent que des frontons délavés. Dans d'autres, encore bien vivantes, il a suffi que je lève les yeux au ciel pour me combler. Je n'occulte pas non plus le bonheur d'avoir découvert derrière une végétation sauvage ou sur une façade décrépie, un fragment d'enseigne, témoin d'un certain passé économique, ni celui d'avoir sillonné la nationale 7, de Bollène jusqu'à l'intersection de Cavaillon, rendue célèbre par la chanson de Charles Trenet mais aussi par l'avènement des congés payés. Les vacanciers empruntaient cette route de Paris jusqu'à la Côte d'Azur et les publicitaires au sens aiguisé des affaires, faisaient peindre les façades pour leurs clients par des peintres en lettres de l'époque, mi-artistes mi-équilibristes. Je vous rappelle que tous ces travaux n'étaient réalisés que sur des échelles, quand on voit la hauteur de certains pignons, il ne fallait pas être sujet au vertige. La journée passée les pieds sur les barreaux devait être bien harassante, mais ils devaient terminer l'ouvrage et passer au mur suivant. Enfin ne boudons pas le plaisir de nous replonger un instant dans notre mémoire collective, car qui n'a pas en tête le souvenir de la "Suze Gentiane", de "Dubo, Dubon, Dubonnet", du "Chocolat Menier" et d'autres couleurs plus chatoyantes, sous le ciel bleu de notre belle Provence. |